Lettre ouverte, signée Fannie Martin, résidente de l’île Sainte-Thérèse
Ce billet s’adresse à tous ceux qui nous traitent, nous les familles de l’île Sainte-Thérèse, “d’illégaux”, de “sans droits” et de “squatteurs”, sur la place publique. Que vous soyez un élu, la CMM, ou des internautes qui ne connaissent pas notre dossier, je tiens à vous dire que vous blessez des familles entières par vos propos. Nous apportons notre cause devant les tribunaux justement parce que nous désirons faire respecter nos droits et la longue histoire de nos familles sur l’île.
Je pourrais vous présenter mon ancien voisin M. Cossette, qui vous raconterait ses souvenirs d’enfance passés au chalet de ses grands-parents dans les années 40. Ou bon nombre de mes voisins, qui se souviennent très bien de l’époque où les plages Bissonnette et Choquette attiraient des dizaines milliers de visiteurs par saison. C’était les années 50. Vous comprendrez que nous sommes attachés à l'île Sainte-Thérèse : nous y avons grandi, de génération en génération.
Un peu de contexte
Avec l'industrialisation agricole, les familles qui vivaient sur l’île Sainte-Thérèse à l'année - dont certains depuis 1667 - ont abandonné la culture maraîchère et de subsistance, ainsi que l'élevage d’animaux, pour donner une vocation de villégiature à leurs terrains.
En 1958, la communauté religieuse rédemptoriste a procédé à l'achat d'une grande majorité des terrains. Celle-ci faisait de la prospection, ayant entendu des rumeurs à l'effet que la construction d’un tunnel (L-H Lafontaine) devait passer sur l'île. Les Rédemptoriste ont négocié à l'amiable avec les familles; ces derniers maintenaient le droit d'y conserver leurs maisons ou leurs chalets. Ils permettent aussi à des gens de construire des chalets, contre travaux; l’ancêtre de la famille Salvail a négocié un droit de construction contre la démolition de certaines vieilles granges. Autre époque, autre mœurs; une poignée de main entre un prêtre et un membre de son troupeau valait plus qu'un bout de papier.
En 1975, le gouvernement provincial a exproprié les pères dans le cadre du projet ‘Un Fleuve, un Parc’. Le ministre de l'environnement et du tourisme de l’époque, Marcel Léger, menait l'affaire. Ce projet visait à faire un parc naturel du fleuve Saint-Laurent et de ses 110 îles. Homme du peuple, le ministre Léger prend la part des résidents de l'île. Pour lui, il n'était pas question de mettre dehors des familles installées depuis des décennies, et même pour certains des centaines d'années. Voilà un vrai gentleman. À l'époque, quand le ministre débarquait sur l'île, les femmes mettaient leurs plus belles robes et les hommes enlevaient leurs chapeaux. Les gens se sentaient valorisés et importants…tout sauf traités illégaux.
Jamais au grand jamais ces gens n’auraient pensé que, des décennies plus tard, certains les traiteraient de ‘squatteur’. Les résidents de l’île ont toujours été là de bonne foi et dans l'attente des directives à suivre. Ce ne sont pas des notaires et des avocats qui vivent sur l'île; nous sommes majoritairement de classe moyenne autrefois appelée classe ouvrière.
Comment osez-vous?
Comment osez-vous dire à des résidents âgés de plus de 80 ans et vivant sur l'île depuis leur naissance que, finalement, ils n’ont pas le droit d'y être ? Ces résidents ont élevé leurs enfants sur l'île. Ils ont vu leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants y grandir. Je pourrais vous en parler longtemps...
Aujourd'hui, je fais mon possible pour défendre ma communauté là où je vis et où mes ancêtres, Jean Hayet dit Malo, Jacques Chaput et Nicolat Choquet, se sont installés à partir de 1667.
En vous en prenant aux résidents de l’île, vous vous attaquez à l'honneur de familles établies ici depuis des générations, de bonne foi, de manière paisible et à titre de propriétaire. Imaginez, un moment, ce que ça vous ferait si quelqu'un dénigrait ainsi vos grands-parents, vos parents, vous et vos enfants. Si quelqu’un menaçait de détruire votre communauté. Ce sentiment, celui qui vous pogne en dedans et vous réveille la nuit, je le ressens.
Je vous invite à prendre le temps de vous familiariser avec l'histoire de l'île Sainte-Thérèse que nous racontons à travers ce blogue, au lieu de nous juger sans nous connaître.
photo : Valérie Rochon-Lépine